jeudi 31 décembre 2009

Happy New Year to All of You!

"Il s'agit de servir la dignité de l'homme par des moyens qui restent dignes au milieu d'une histoire qui ne l'est pas. On mesure la difficulté et le paradoxe d'une pareille entreprise."
Albert Camus

mardi 22 décembre 2009

En attendant Noël...

Chaque année, à la période des fêtes, la ville de Bethléem occupe le devant de la scène: lieu de naissance de Jésus, de rassemblement des pélerins du monde entier, symbole de la religion chrétienne. L'imagerie biblique évoque Marie et Joseph, les rois mages, l'étoile du berger...

Les images que je retiens de Bethléem sont les suivantes:







Je ne vais pas revenir en détail sur la situation actuelle de Bethléem puisque j'y ai déjà consacré un article (03.08.09). Je tiens néanmoins à rappeler que cette ville, située à une quinzaine de kilomètres au sud de Jérusalem, abrite le checkpoint le plus massif de toute la Cisjordanie. C'est également l'un des endroits où le Mur "de sécurité" est le plus visible. Lorsqu'on marche le long de cette structure bétonnée interminable, on réalise à quel point les Palestiniens doivent se sentir isolés, parfois coupés de leurs terres et du reste de leur famille. Bref...

Sur le nombre de chrétiens qui viennent en pélerinage à Bethléem, que ce soit à Noël, à Pâques ou à n'importe quel autre moment de l'année, combien d'entre eux ont conscience de la réalité qui se cache au-delà des murs de l'église de la Nativité? Combien savent que les camps de réfugiés d'Aida et de Dheisheh, situés au coeur de la ville, abritent à eux deux plus de 17'000 Palestiniens déplacés?

Beaucoup de tours opérateurs évitent de passer près du Mur et de mentionner Gilo Checkpoint. Pourquoi? Pour maintenir l'illusion selon laquelle Bethléem est telle qu'à l'époque du Christ?

Je ne pense pas que le symbole chrétien de cette ville sainte va s'effondrer à partir du moment où l'on reconnaît que certaines évolutions historiques et politiques ont transformé Bethléem d'une bien triste manière. Au contraire, le message biblique peut s'en trouver renforcé et plus cohérent, davantage adapté au contexte actuel.

Lors de mon séjour en Cisjordanie, j'ai eu l'opportunité de rencontrer plusieurs groupes de chrétiens tout à fait informés et clairement sensibilisés à la question palestinienne et je sais qu'ils ne sont de loin pas les seuls. Le problème réside plutôt dans le fait que le tourisme chrétien "solidaire" en Cisjordanie est encore considéré comme marginal, alternatif. Et c'est ce qui doit changer.

A ce titre, je tiens à souligner que le programme auquel j'ai participé (EAPPI - Ecumenical Accompaniment Programme in Palestine and Israel), mis en place par le Conseil oecuménique des Eglises suite à une appel lancé par les Eglises chrétiennes de Palestine, fait un travail remarquable en envoyant des observateurs des droits humains dans les Territoires Palestiniens Occupés.




A l'intérieur de l'Eglise de la Nativité

jeudi 3 septembre 2009

De retour

C'est avec embarras que je constate que mon dernier article date d'il y a exactement un mois! En même temps, j'ai de bonnes raisons qui justifient ce silence radio...

Mes deux dernières semaines en Palestine ont été relativement intenses, en particulier lorsqu'il a fallu "former" la nouvelle équipe d'observateurs fraîchement débarquée à Hébron. En 3 jours, il s'agissait de leur expliquer et de leur montrer le travail de 3 mois! Pour moi, c'était aussi l'occasion de dire au revoir aux personnes que j'ai côtoyées pendant ce long séjour et j'avoue que j'aurais volontiers passé plus de temps avec certaines d'entre elles... Tant pis, l'important c'est qu'au final, le "passage du témoin" aux nouveaux venus s'est très bien déroulé, ce sont 4 personnes très motivées à qui je souhaite tout le meilleur. Bon vent!

Sinon, j'ai passé mes derniers jours à Jérusalem, à tenter d'effacer toutes les preuves de mon séjour en Palestine en vue du contrôle de sécurité de l'aéroport... J'exagère à peine: en effet, j'ai fait un envoi postal avec tous mes souvenirs et documents liés à mon séjour en Cisjordanie, j'ai supprimé mes photos de mon disque dur, nettoyé ma boîte e-mail et mon téléphone portable. Je n'avais plus qu'à espérer éviter la fouille au corps. Heureusement, j'ai passé le contrôle sans problème. On ne m'a posé que quelques questions de routine sur les raisons de mon séjour "en Israël", mais on a quand même frotté mes effets personnels et mon matériel électronique avec une brosse afin de détecter d'éventuelles traces de poudre explosive... J'avais déjà constaté que que la police des frontières israélienne traquait les terroristes et les activistes, mais je ne pensais pas que le contrôle était si poussé lorsqu'on quittait le pays!

Bref, 4 heures après cet épisode digne d'un film d'espionnage, j'apercevais par la fenêtre de l'avion les premiers pâturages, les premières fermes, toute cette verdure qui donne à la Suisse un aspect tellement paisible.



Je suis rentrée, donc. Je suis de retour physiquement, mais ma tête est ailleurs. Les souvenirs se bousculent. J'écoute en boucle une chanson irakienne populaire qui me rappelle mes virées en taxi à Naplouse. Heureusement, le choc climatique n'est pas trop grand puisque la température à Lausanne est pratiquement la même qu'à Jérusalem!

Je revois ma famille et mes amis avec beaucoup de plaisir. Je raconte mon expérience mais je ne sais pas trop par où commencer. Parfois, je préfère écouter les conversations. Mais mon esprit vagabonde, souvent.

J'ai aussi un peu peur d'oublier... L'allure à laquelle la routine d'autrefois se réinstalle est effrayante! Rien n'a changé. J'ai changé. Et rien ni personne ne m'enlèvera ce que j'ai vécu.

Je me rends compte qu'il est difficile de trouver un -e interlocuteur /-trice avec qui je me sente vraiment en phase et qui puisse m'écouter attentivement et me comprendre. Remarquez, c'est tout à fait normal. A vrai dire, je n'en demande pas autant. Les nombreuses réactions positives à mon blog comptent beaucoup plus pour moi! Cela dit, j'ai peut-être sous-estimé l'importance d'avoir au moins une personne prête à partager avec moi cette expérience de manière plus approfondie. Parfois on tombe de haut...

Heureusement qu'il y a Facebook pour garder contact avec les collègues et les amis sur place!

Enfin, le travail d'information et de sensibilisation que je vais débuter prochainement et qui, en soi, représente un gros challenge, va également me permettre de me replonger dans mes souvenirs et de les transmettre plus loin. Inchallah!

Voilà donc, en résumé, les raisons pour lesquelles je n'ai pas écrit sur ce blog depuis un mois: une fois rentrée saine et sauve des territoires palestiniens occupés, il m'a fallu un petit bout de temps pour remettre mes idées en place. Pour redescendre de mon nuage. Même si, dans le fond, j'aurai toujours un peu la tête dans les étoiles...


lundi 3 août 2009

Gilo Checkpoint, Bethléem, 4.30 am


Il fait encore nuit noire lorsqu'on arrive au checkpoint. Les lieux sont déserts et l'atmosphère étonnamment calme. C'est d'autant plus étrange que dans une demie heure, à 5 heures, une marée humaine, pressée d'arriver au travail, va littéralement envahir la place et courir en direction de la sortie.


Gilo est le plus grand des 60 checkpoints implantés en Cisjordanie par le gouvernement israélien depuis 2002. Situé entre Bethléem et Jérusalem, il permet de contrôler étroitement le flux de Palestiniens se rendant dans la Ville Sainte.
Officiellement, ces structures ont été construites pour des raisons sécuritaires, autrement dit pour tenter d'éviter les attaques terroristes. Officieusement, elles ont pour but de restreindre au maximum le mouvement des Palestiniens à l'intérieur des territoires occupés, en particulier en direction de Jérusalem.

Tous les matins, entre 5 heures et 7 heures, environ 2000 Palestiniens et Palestiniennes passent par Gilo Checkpoint. S'ils n'ont pas de permis de travail ou de laissez-passer reconnu par le gouvernement israélien, ils peuvent faire demi-tour.


Certains d'entre eux passent la moitié de la nuit devant l'entrée et dorment sur des cartons. S'ils veulent arriver à l'heure au travail, ils ont intérêt à être les premiers dans la file. A 4h30, celle-ci est déjà longue de plus de 50 mètres. Quelques personnes n'ont pas la patience d'attendre et essaient tant bien que mal d'escalader les barrières...



A 5 heures, lorsque le checkpoint ouvre, le parcours du combattant commence. Les Palestiniens passent un premier tourniquet qui se bloque aléatoirement toutes les 5 à 10 minutes. On attend donc à nouveau. 5, 10, 20 minutes... Ensuite, un soldat contrôle les permis de travail et en profite pour insulter ou crier sur le premier individu qui le présente mal ou qui semble trop pressé.



L'humiliation est constante. Non seulement parce que ces personnes sont entassées derrière des grilles comme du bétail, mais également parce que les soldats s'adressent à eux comme à des moins que rien. Même les bergers de Susiya traitent leurs moutons avec plus de respect...



Après la présentation du permis de travail, les Palestiniens se dirigent dans une immense halle où ils se divisent en plusieurs files. A nouveau, détecteur de métal et contrôle d'identité. Il arrive parfois que quelqu'un doive rebrousser chemin pour des raisons obscures...



"Come and feel the glory of Israel", peut-on lire sur le panneau publicitaire ornant les murs du terminal.

Ironie de l'occupation ou blague sadique?! La grande majorité des personnes qui sont contraintes à passer par Gilo tous les matins pour se rendre à Jérusalem n'iront jamais en Israël, même pas en rêve.

Dans le cas présent, je verrais mieux écrit "Come and feel the shame of Israel"...



"Tel Aviv - Jaffa - Israel: For the time of your life"...



A 7h30, le checkpoint est à nouveau désert, le "rush" est passé. Pendant le reste de la journée, les passages sont moins chaotiques.





En plus des 60 checkpoints situés à l'intérieur de la Cisjordanie, 39 chekpoints ont été érigés le long de la ligne de démarcation entre la Cisjordanie et Israël. Cela dit, la grande majorité de ceux-ci se trouvent plusieurs kilomètres au-delà de cette ligne de démarcation, grignotant ainsi des hectares de terres palestiniennes. Une soixantaine de portes permettent à un nombre très limité de Palestiniens d'accéder à ces terres (leurs terres!) pendant une courte période durant la journée.

La stratégie du gouvernement israélien visant à restreindre la liberté de mouvement des Palestiniens à l'intérieur des territoires occupés ne s'arrête cependant pas là: en Cisjordanie, on recense plus de 60 checkpoints "surprise" (flying checkpoints), dont le principe est d'apparaître aléatoirement, n'importe où et à n'importe quel moment, pendant une durée d'environ 24 heures.
Enfin, il existe environ 530 "obstructions" diverses: routes entravées par des blocs de béton ou des tas de sable, barbelés, tranchées, etc.

Cette situation a bien évidemment des conséquences néfastes sur la vie des Palestiniens et des Palestiniennes, notamment en termes d'accès aux soins et à l'éducation. Il est aussi beaucoup plus difficile d'exercer une activité commerciale ou simplement d'aller rendre visite à des membres de la famille vivant dans une ville voisine.

Une telle restriction de mouvement à l'intérieur des territoires occupés implique donc également une restriction des droits humains élémentaires.



Le Mur de Séparation à Bethléem. Malgré ce qu'on pourrait croire, il ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens, mais bien les Palestiniens entre eux.

Informations tirées du site http://www.btselem.org/

jeudi 23 juillet 2009

Susiya: Un petit village palestinien qui résiste encore et toujours à l'envahisseur - Partie 2

« Barcelona or Manchester» ?!

Comme chaque samedi matin, je prends le petit déjeuner avec la famille de Yahia. Ils sont onze (les parents et neuf enfants) à vivre dans l’une des rares grottes qui n’a pas été détruite par l’armée israélienne ou les colons. Il fait sombre à l’intérieur et il y règne une forte odeur de chèvre … J’ai mis du temps à m’y habituer mais j’y suis finalement arrivée. Et puis ils ont réussi à me convaincre que « ce qui est bien là-dedans c’est qu’il fait chaud en hiver et frais en été ».

Kusai (11 ans) et sa sœur Wafa (12 ans) me tirent par le bras : « Play football ? » Oh… « Chwaye, un peu ». J’essaie de leur expliquer que je n’ai pas franchement la passion du foot mais il est trop tard, me voilà déjà avec un ballon aux pieds. Heureusement, mes deux footballeurs de collègues me sauvent la mise… pour cette fois ! Kusai coure vers eux : « Barcelona or Manchester » ? Mercredi prochain, c’est la finale de la Ligue des champions et tout le monde ne parle que de ça ! Quelques autres enfants nous rejoignent et le jeu peut commencer.

Le football est un langage universel. Je parle anglais, tu parles arabe, on parle football. Non seulement parce que Cristiano Ronaldo se prononce de la même manière dans toutes les langues mais aussi parce que ce sport déclenche des passions communes. Pourquoi, je n’en sais rien… Ce qui est sûr c’est que je n’oublierai jamais les rires qu’on a partagés sur et autour de ce terrain sablonneux et caillouteux, auquel on a d’ailleurs eu bien du mal à s’habituer !



Paradoxalement, le football peut aussi être considéré comme un sport pacifique, vecteur de tolérance. Oublions un instant les hooligans, les comportements racistes, les montants scandaleux de certains transferts...

Playing for peace, c’est l’appellation non officielle de l’équipe de football junior de Susiya. Elle regroupe une trentaine d’enfants de moins de 15 ans, garçons et filles, qui s’entraînent généralement le samedi matin. Yahia, 22 ans, est leur coach : « L’année passée, on a été invité par un club de Tel Aviv. On n’a pas joué contre les enfants israéliens mais avec eux, on a mélangé les équipes. C’était vraiment chouette. Attends… je vais te montrer des photos ». Sur ces photos, des enfants qui jouent au foot, mais aussi et surtout des gosses s’amusant sur un bateau. Et la mer. Yahia poursuit : « La plupart d’entre eux voyaient la mer pour la première fois. Moi aussi, d’ailleurs ! ». Cette année, l’équipe est invitée par un club de Netanya, une station balnéaire au nord de Tel Aviv. Yahia se marre en regardant les enfants : « Bon… Il y a encore du boulot » !



Dessine moi un mouton (et laisse le paître)

A Susiya, lorsqu’on ne joue pas au football et qu’on ne boit pas le thé avec les villageois, on accompagne les bergers et leurs moutons dans les champs. Le village de Susiya se situant en « Zone C », c'est-à-dire sous contrôle israélien total, les confrontations entre ces bergers et l’armée sont fréquentes. Les deux soldats postés sur la colline surplombant le village accourent dès qu’un troupeau s’approche. Jamal en a fait l’expérience un millier de fois : «Ils me crient dessus et m’ordonnent de m’en aller, parce que je suis soi disant trop près de la colonie. Je leur réponds que ce sont mes terres, mais ils s’en fichent. Le problème c’est que je ne sais plus où emmener les moutons, bientôt il n’y aura plus assez à manger pour eux ici ». Un jour, j’ai essayé de parler à l’un des soldats, mais c’est mission impossible : « Si tu me dis que tu agis comme ça parce que tu a des ordres à suivre, je comprendrais » finis-je par lui dire. « Ce n’est pas le problème. Tu ne sais pas de quoi tu parles. Ce ne sont pas ses terres à lui, ces terres appartiennent à Israël », me répond cette jeune fille d’à peine 20 ans. A quoi bon insister ?



A terme, si les bergers ne peuvent plus accéder à leurs terres pour y faire paître leurs moutons, cette activité risque bien de disparaître. Raison pour laquelle de plus en plus de jeunes de Susiya tentent de trouver du travail à Yatta, la ville palestinienne la plus proche ou, pour ceux qui n’ont pas peur de travailler au noir, en Israël… qui est à moins de 10 km, après tout.











A la belle étoile…

Les soirées à Susiya sont assez magiques : des couchers de soleil splendides, le ciel étoilé…
On mange avec les familles du village, on joue aux cartes, on discute, on pratique nos deux ou trois phrases d’arabe. On s’amuse même sur Facebook lorsque, ô comble de l’ironie, la connexion sans fil de la colonie voisine le permet.
En plein été, quand il fait trop chaud sous la tente (ou lorsque celle-ci a été incendiée…) c’est agréable de dormir dehors, sous les étoiles. J’ai l’impression d’être en camping, j’oublie un instant que je me trouve entre une colonie et une base militaire, qu’une patrouille de soldats ou une bande de colons peut surgir à tout moment…



Un matin d’avril, les habitants de Susiya se sont réveillés et ont constaté qu’une caravane avait fait son apparition pendant la nuit, à environ 200 mètres du village. Ce genre d’avant-postes établis illégalement par les colons se multiplient de manière effrayante dans les collines au Sud d’Hébron. Ils sont aussi la preuve qu’il y a encore un chemin immense à parcourir avant que l’on puisse réellement parler de gel des colonies qui, à l’heure actuelle, continuent à pousser comme des champignons. Pour les habitants de Susiya, l’apparition de nouveaux avant-postes et autres structures destinées aux colons prédit davantage d’expropriation de terres et de persécutions.

Je ne suis pas particulièrement superstitieuse mais je me dis que si j’aperçois une étoile filante lors de ma prochaine et dernière nuit à Susiya, je devrais peut-être essayer de faire un vœu. Le vœu que lorsque je reviendrai ici, dans quelques années, la caravane postée près du village n’ait pas donné naissance à une nouvelle colonie. Et aussi le vœu que les tentes se soient transformées en véritables maisons.

Sait-on jamais !




Informations tirées du rapport Susiya Village : 5th Demolition Looming, 30th June 2007 par Christian Peacemaker Team (CPT)

mercredi 15 juillet 2009

Susiya: Un petit village palestinien qui résiste encore et toujours à l'envahisseur - Partie 1

Une nuit de juin, à 4 heures du matin, Yahia, Abed et Ibrahim dorment tranquillement dans l’une des tentes de Susiya, un village situé dans les collines au Sud d’Hébron, lorsqu’ils sont réveillés par une soudaine sensation de chaleur et une vague odeur de fumée. Ils se rendent vite compte qu’un coin de toile est en feu et que celui-ci s’étend petit à petit aux matelas et aux couvertures. Ils arrivent à sortir de la tente et à éteindre le sinistre avec l’aide d’autres villageois. Bien qu’ils n’aient vu personne distinctement, ils savent très bien qui est à l’origine de ce feu : « C’est un coup des colons, il n’y a pas de doute », m’explique Yahia par téléphone.
A 5 heures du matin, les trois jeunes hommes se rendent au poste de police israélien de Qyriat Arba, près d’Hébron : « On a fait notre déposition, mais la police ne va pas nous aider. Cette histoire est terminée », poursuit Yahia.




C’est typique… La police classe l’affaire sous prétexte qu’il n’existe aucune preuve contre qui que ce soit alors qu’en 2001, lorsqu’un colon qui vivait près de Susiya est tué, tous les Palestiniens du village sont violemment expulsés de leurs habitations et un grand nombre d’entre eux sont arrêtés… sans qu’il n’existe aucune preuve contre qui que ce soit !

L’événement de cette nuit de juin est loin d’être isolé. Depuis le début des années 80, lorsque les premiers colons s’établissent dans la région, les habitants de Susiya font régulièrement face à ce genre d’actes criminels et autres formes de violence.


Un village sous tension depuis des années

Aux alentours de 1830, de nombreuses familles palestiniennes vivant dans des villages au Sud d’Hébron sont frappées par la pauvreté et sont forcées de quitter leur maison. Elles achètent alors des terres dans les environs et y construisent des grottes dans lesquelles elles vivent été comme hiver. Ces familles développent un mode vie particulier essentiellement basé sur l’agriculture et l’élevage de moutons, que les générations suivantes vont perpétuer.

L’occupation progressive de la Cisjordanie par Israël dès 1967 a malheureusement des conséquences fâcheuses pour les villageois de Susiya : le gouvernement israélien leur confisque leurs terres petit à petit afin d’y établir des bases militaires et des zones d’entraînement pour l’armée puis, au début des années 1980, les premières colonies.

En 1985, l’armée israélienne prend le contrôle d’un site « prétendument » archéologique qui abriterait les restes d’une synagogue très ancienne. Le gouvernement israélien décide d’en faire un parc national, ce qui provoque l’expulsion d’une soixantaine de familles palestiniennes vivant dans des grottes aux alentours du site. Ne sachant trop où aller, ces familles n’ont d’autre choix que de s’établir dans une zone à 500m de la colonie la plus proche. C’est alors que commence une longue série d’expulsions, de destructions d’habitats et d’agressions à l’encontre des Palestiniens.


L'une des dernières grottes de Susiya


La stratégie du gouvernement israélien, relayée par les colons, est claire : il s’agit de vider toute cette région de sa population palestinienne en grignotant progressivement ses terres et en multipliant les persécutions à son égard.

La plus grave des expulsions a lieu en juillet 2001, suite à la mort d’un colon près de Susiya. Elle s’accompagne de nombreuses arrestations et de la démolition de la plupart des grottes du village. Par-dessus le marché, l’armée israélienne interdit formellement aux villageois déplacés de reconstruire leurs habitations. Malgré la pression exercée par des groupes d’activistes israéliens et le soutien du Comité International de la Croix Rouge, les habitants de Susiya ne sont pas en mesure d’infléchir cette décision auprès des tribunaux israéliens et sont désormais contraints à vivre dans des tentes.

Aujourd’hui, malgré ses airs de camp de réfugiés, le village de Susiya est bien structuré et organisé. Pourtant, les quelques familles qui y vivent espèrent toujours pouvoir y construire, à terme, des structures permanentes.


A suivre

vendredi 3 juillet 2009

Hebron Blues

J’ai toujours trouvé super frustrant la manière dont un rêve s’achève au moment même où il commence à devenir palpitant. Le tonnerre gronde, le chat miaule, le réveil sonne… ou l’appel à la prière retentit du haut du minaret de la mosquée du quartier. Il est 4h du matin et c’est la dernière fois que j’entends « Allah Akbar ». Il y a trois mois, l’impression d’avoir un haut parleur à plus de 93db à côté de mon lit m’irritait. Puis je m’y suis habituée. A présent je ne l’entends qu’une ou deux fois par semaine. Ce matin, j’ai un petit pincement au cœur.

Hébron n’a rien d’un rêve palpitant et pourtant, c’est bien la fin d’une expérience incroyable que cet appel à la prière semble annoncer. Et c’est frustrant pour plusieurs raisons : je n’ai pas vu le temps passer, je n’ai pas tenu mon blog à jour aussi régulièrement que prévu, je n’ai pas pu répondre à toutes les invitations à dîner qui m’ont été faites…

… et puis c’est seulement maintenant que l’on commence à établir un véritable contact avec la population et qu’une certaine complicité s’installe entre elle et nous.

Je n’ai rien pu faire lorsque une bande de colons a mis le feu à la tente dans laquelle on dort tous les vendredis, dans le village de Susiya au Sud d’Hébron. Je ne peux pas empêcher Jamil, 16 ans, d’être détenu 4 heures à un checkpoint parce qu’il transporte un "colis suspect" (des ustensiles de cuisine en réalité). Je ne peux pas m’assurer que Raghad ne sera plus jamais la cible de jets de pierre lorsqu’elle se rend à l’école, ni que son petit frère puisse jouer au foot en toute sécurité dans le jardin. Je suis pratiquement sûre que des colons vont à nouveau mettre le feu à l’appartement où vit Saïd et sa famille et jeter des seaux d’eau et d’urine aux commerçants du Vieux Souk.

Je n’ai pas été en mesure d’emmener Sundus et Ishraq à la plage de Tel Aviv, ni Yahia à Jérusalem. Ils n’y mettront d’ailleurs certainement jamais les pieds, en raison d'un système de permis injuste et très compliqué.

Et oui, tout ceci est frustrant. J'ai pourtant passé des moments formidables en compagnie de tous ces gens et c’est ce dont je vais me souvenir, ce qui va me manquer. Lorsqu’ils me remercient pour le travail qu’on fait, je rectifie immédiatement : « Non, merci à vous. Vous m’apportez bien plus que ce que moi je peux vous apporter ». Je le pense vraiment.

Un collègue me disait cet après-midi : « Ne trouves-tu pas inquiétant le fait que tu te sentes si bien à Hébron ? » Je n’ai pas trop su quoi répondre. En effet, pour les gens qui y vivent, Hébron est un enfer et peut-être bien que je devrais avoir honte de m’y plaire… mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

Dès demain, je vais me retrouver à Yanoun, un petit village dans la région de Naplouse, au Nord de la Cisjordanie. Et tout sera à recommencer : il va falloir que je m’adapte à un nouvel environnement, que je rencontre de nouvelles familles… J’espère trouver l’énergie nécessaire pour m’engager autant que je l’ai fait à Hébron. Je sais que ça va être dur, mais je sais aussi que si j’y arrive, je serai récompensée.

Toute bonne chose a donc une fin, toute expérience hors du commun également. Si au moins je pouvais en dire autant de l’occupation de ce bout de terre soit disant « sans peuple »…

Ana khalilyyia. Aywa.